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Biodéchets : Et si les couches sales de bébé pouvaient être utiles en les compostant ?

Dans l’ultra majorité des cas, les 3,5 milliards de couches jetées chaque année en France finissent à l’incinérateur ou la décharge. Une aberration, dit-on aux Couches fertiles, qui fait le pari de la couche compostable. La bonne idée ?

C’est une terre bien noire que tient entre ses mains Julien Reduron, responsable opération aux Couches fertiles. En tout point semblable, visuellement, au terreau en vente dans les jardineries. Difficile d’imaginer que quelques mois plus tôt, le tas de compost dont il vient d’extraire une poignée était en partie composé de couches sales de bébés. Celles d’une dizaine de crèches privées parisiennes, que les Couches fertiles collecte chaque début de semaine pour les amener à la friche René. e, à Pantin.

C’est là, à quelques encâblures de la capitale, que la jeune pousse, émanation des Alchimistes, entreprise spécialisée dans le traitement de nos biodéchets, a installé son laboratoire et composte, depuis juillet, 700 couches par semaine. Soit 150 kg environ.


Aux bactéries de jouer

Il ne suffit pas de les déposer dans un coin de la friche. Pour faire un compost répondant aux normes sanitaires et d’une qualité suffisante pour être utilisé, il y a tout une alchimie à trouver, à écouter Julien Reduron. Les couches sont d’abord broyées pour en faciliter la décomposition, puis incorporées dans une recette « sur laquelle on a planché un an et demi pour en maîtriser tous les paramètres », raconte Julien Reduron. Elles ne comptent « que » pour 40 % du mélange. Le reste est composé de broyats de bois et de divers déchets alimentaires. « De la drêche par exemple, un coproduit du brassage de la bière qu’on récupère chez un brasseur à quelques pas de là », reprend Julien Reduron.

Le tout est entreposé dans des box sous une couverture. Au tour des bactéries et autres micro-organismes de jouer. On voit qu’elles s’activent et décomposent tout ça à la chaleur qui se dégage du tas… Jusqu’à 75°C le jour de notre venue. En un mois déjà, les lamelles de couches se distinguent difficilement du reste. Entre six et neuf mois, on obtient ce compost affiné et d’un noir homogène que Julien Reduron montre dans ses mains.

Détourner les couches de l’incinération ou de l’enfouissement

3,5 milliards de couches seraient chaque année expédiées à la poubelle en France. « De sa naissance à l’acquisition de la propreté, un bébé en use entre 4.500 et 5.000, dit aussi Charlotte Soulary, responsable du plaidoyer à Zero Waste France. Il s’agit du troisième déchet* que l’on trouve le plus dans nos poubelles grises [celles où va tout ce qui n’est pas recyclable]. » Et si, dans la hiérarchie du traitement des déchets, le premier enjeu est de les réduire, pour les couches, « il faut reconnaître que cela peut s'avérer difficile », reprend-elle.

En fin de processus, entre six et neuf mois, on obtient un compost d'un noir homogène. Cet amendement produit par les couches fertiles est pour l'instant utilisé par l'école du Breuil, l'école d'horticulture de Paris. - F. Pouliquen

Certes, les couches lavables ont émergé ces dernières années. Question bilan environnemental, y a pas mieux. « Ça se développe et on est très content, commence Maïwenn Mollet, directrice des Couches fertiles. Mais ça demande une logistique et des efforts que seuls les parents les plus motivés sont prêts à faire. » « Et il faut aussi penser aux crèches et assistantes maternelles, pour qui les couches lavables engendrent du travail supplémentaire non négligeable », rappelle Charlotte Soulary.

D’où l’intérêt de développer en parallèle les couches compostables. L’enjeu, en tout cas, est de détourner les couches sales de l’incinération et de l’enfouissement, le mode de traitement actuel de l’ultra-majorité des couches. Une aberration, décrit Maïwenn Mollet : « Ces fins de vie génèrent de la pollution, soit de l’air lorsqu’on les brûle, soit des sols quand on les met en décharge, où les composants plastiques des couches mettront des centaines d’années à disparaître. » Surtout, dans les deux cas, « on ne valorise aucunement l’urine et les matières fécales, pourtant riches en azote, en phosphore et en potassium », reprend la directrice des Couches fertiles.


De l’urine et des excréments bien utiles

Autant de nutriments qui pourraient concourir à nourrir les sols dont la dégradation est l’une des préoccupations environnementales de ce siècle. Maïwenn Mollet ajoute la nécessité de réduire nos recours aux engrais azotés. « Non seulement leur production, à partir de gaz naturel, a des impacts environnementaux lourds, mais depuis la guerre en Ukraine, leur prix a explosé », rappelle-t-elle. C’est ce que vise à terme Couches fertiles : proposer son compost aux agriculteurs et leur permettre de réduire leur consommation d’engrais. On n’y est pas encore : les premiers kilos produits à Pantin sont pour l’instant utilisés par l’école du Breuil, l’école d’horticulture de la ville de Paris.

Vous l’avez compris : on n’est qu’au tout début de la couche compostable… Tout de même, depuis 2017 qu’ils y travaillent, les Couches fertiles et ses partenaires ont déjà fait de belles avancées. Notamment sur un pré-requis pour que tout ça marche : la mise au point d’une couche qui soit bel et bien compostable. « Les classiques ne le sont pas en l’état, en raison des plastiques et des super-absorbants qu’elles contiennent, explique Eric Vilmen, responsable développement de produits à Celluloses de Brocéliande, le fabricant breton de couches avec qui Couches Fertiles travaille. Le gros challenge était de remplacer ces quinzaines d’éléments par des équivalents biosourcés et compostables. On a planché sur des matériaux cellulosiques, issus de coproduits de la filière bois. »


Une nouvelle filière à bâtir, une REP pour aider

Ce travail est toujours en cours mais a d’ores et déjà permis à Celluloses de Brocéliande de mettre au point une première gamme de couches. C’est celles-ci que collecte Les Couches fertiles dans la dizaine de crèches partenaires, avec l’espoir de passer à 50 d’ici janvier. Et, très vite, de dupliquer le projet dans d’autres grandes villes. D’autres fabricants de couches font le même pari. Charlotte Soulary invite à aller voir du côté des Bordelais de Mundao, qui tentent aussi de mettre sur pied une filière de couches compostables, notamment à Poitiers et à Bordeaux. « On voit ça d’un bon œil, à condition que ces projets assurent bien le respect des normes de compostabilité et s’organisent pour passer à l’échelle », commente la responsable du plaidoyer de Zéro Waste. Pas simple, ne serait-ce parce que la couche compostable part avec le désavantage d’être plus chère que sa concurrente conventionnelle.

Charlotte Soulary et Maïwenn Mollet citent tout de même une belle opportunité qui se profile à l’horizon. A partir de janvier, les textiles sanitaires à usage unique, dont font partie les couches, seront l’objet d’une filière REP (Responsabilité élargie du producteur). « Autrement dit, les producteurs qui mettent sur le marché des couches vont devoir gérer leur fin de vie, notamment en finançant le coût, expliquent-elles. Un système de bonus/malus devrait être instauré, faisant payer davantage les producteurs de couches classiques et moins ceux de couches compostables. » Reste à savoir si le barème sera suffisamment dissuasif.

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