La secrétaire d’État à la Citoyenneté, Sabrina Agresti-Roubache, a présenté ce mercredi en Conseil des ministres son projet de loi contre les dérives sectaires. Parmi les mesures phares, la création d’un délit de « sujétion psychologique »

Prôner des cures d’aliments crus, de jus ou des jeûnes extrêmes pour guérir tous les maux, y compris les maladies les plus graves. Organiser une emprise telle sur ses victimes que, comme des pantins, ces derniers rompent avec leurs proches, quittent leur travail, font « don » de toutes leurs économies. « On a même des signalements de gourous qui recommandent de se nourrir de lumière », sourit, un peu amer, Donatien Le Vaillant, à la tête de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires, la Miviludes, depuis le début d’année.
Le phénomène n’est pas nouveau, mais la pandémie lui a donné un coup d’accélérateur. En 2021, 4.020 signalements pour des dérives sectaires ont été enregistrés par la Miviludes. C’était 30 % de plus que l’année précédente. Et les chiffres de 2022 et 2023, qui paraîtront dans quelques semaines, suivent la même courbe ascendante. Pour endiguer cette recrudescence, la secrétaire d’État à la Citoyenneté, Sabrina Agresti-Roubache a présenté ce mercredi, en Conseil des ministres, un projet de loi pour lutter contre les dérives sectaires.
« Déplacer le curseur »
Depuis 2001, « l’abus de faiblesse lié à un état de sujétion psychologique ou physique » est punissable de trois ans d’emprisonnement et de 375.000 euros d’amende. Mais avec ce projet de loi, le gouvernement veut « déplacer le curseur ». « Aujourd’hui, on punit les conséquences de cet état de sujétion, à savoir l’abus de faiblesse. Ce sont surtout des préjudices économiques ou des violences. On souhaite que le simple fait de placer quelqu’un en état de sujétion soit punissable », explique-t-on dans l’entourage de la ministre. En clair : « Imaginez qu’on punisse les conséquences du harcèlement mais pas le harcèlement lui-même, ça n’aurait pas de sens. Eh bien c’est la même chose », précise Donatien Le Vaillant.
L’objectif de ce nouveau délit – puni, comme l’abus de faiblesse, de trois ans de prison et 375.000 euros d’amende – est de permettre de mieux appréhender le préjudice de ces victimes. Car le simple fait d’être placé dans un état d’assujettissement entraîne des séquelles psychologiques ou physiques. « Ce sont des personnes qu’on va rendre incapable de la moindre décision autonome. Elles se retrouvent dépossédées de leurs choix, même les plus intimes : décider de son conjoint, de son travail, de la manière dont on gère son argent… », poursuit le chef de la Miviludes. De nombreuses victimes sont sujettes, parfois pendant des années, à des syndromes dépressifs ou post-traumatiques. Pour certaines, les conséquences sont également sociales – une rupture familiale ou professionnelle – ou physiques après, par exemple, une privation de nourriture ou une rupture de traitement.
Un délit spécifique pour la santé
Au ministère, on l’assure, il n’y a pas de « limitation » dans ce délit. Théoriquement, il pourrait même s’appliquer au sein du couple. Dans la réalité, ce cas de figure semble peu probable : de nombreux délits, plus lourdement réprimés et souvent plus faciles à prouver, existent déjà. Car c’est bien là l’une des difficultés de ce délit : il n’est pas évident à prouver. Des expertises psychologiques sont nécessaires pour prouver l’ampleur de la manipulation et ses conséquences.
« L’état des connaissances a évolué ; on connaît mieux les ressorts de cette sujétion, et ce projet de loi vise à coller à ces nouveaux enjeux », insiste-t-on dans l’entourage de la ministre. Ces dernières années, le domaine de la santé – notamment tout ce qui concerne les médecines dites « alternatives » – est devenu un véritable enjeu dans la lutte contre les dérives sectaires. En 2021, un quart des signalements reçus par la Miviludes était lié à la santé. D’où l’idée de créer un délit spécifique. La « provocation à l’abandon ou l’abstention de soins ou à l’adoption de pratiques dont il est manifeste qu’elles exposent la personne à un risque grave ou immédiat pour sa santé » sera punie d’un an d’emprisonnement et de 75.000 euros d’amende.
Muscler l’arsenal
Si ce nouveau délit est sous-tendu par cette même notion d’emprise, il permet de ne pas avoir à la prouver. « Dans certains cas, malheureusement, les choses peuvent aller très vite, poursuit le chef de la Miviludes. Je pense par exemple aux malades en phase terminale qui, dans un état de désespérance, vont faire confiance à un escroc et arrêter de se soigner. »
Dans ces dossiers, il n’y aura pas besoin de prouver la sujétion, la responsabilité directe du pseudo-guérisseur sera engagée. « Ces nouveaux délits s’ajoutent à ceux qui existent déjà, précise-t-on au ministère. Il s’agit vraiment de muscler l’arsenal pour faire face aux nouvelles dérives. »
Source: 20minutes