
C’est « le scénario le plus improbable au départ » qui doit se dérouler jeudi 31 août à Toulouse : le fameux monument aux morts de la Ville rose, qui n’a jamais pas bougé de son carrefour stratégique depuis son érection en 1928, va pivoter à 90° puis voyager sur une grosse trentaine de mètres. Emmitouflé dans un « exosquelette » de bois et d’acier, l’édifice va être soulevé d’un seul tenant grâce à des vérins hydrauliques puis glisser jusqu’à sa retraite provisoire, à l’ombre des platanes, grâce à une plateforme roulante.
Cette opération spectaculaire, dont les préparatifs techniques ont commencé voilà un an, doit permettre de construire une station de métro de la future ligne C. La plus profonde du projet, à 45 mètres, creusée juste en dessous de « l’arc de triomphe » toulousain pour épargner les encore plus vénérables platanes des allées François-Verdier. Mais creuser un immense trou au-dessous d’un monument de plus de 1.000 tonnes s’est avéré d’emblée comme risqué.
Démontage impossible
« Honnêtement, il y a deux ans et demi je pensais que ce serait la deuxième hypothèse qui serait retenue, celle de le déconstruire puis de le remonter pierre par pierre », confie Jean-Michel Lattes, le président de Tisséo. Toulouse aurait alors joué la version calcaire du démontage du célèbre pavillon Baltard n° 8 des Halles à Paris. En 1971, il a été sauvé de la destruction par un démontage-remontage et vit depuis sa plus belle vie, bien remplie et culturelle, à Nogent-sur-Marne. Mais patatras. Après analyse de faisabilité, il s’est avéré que dans les hauteurs sculptées du « monument à la gloire des combattants » – sa véritable appellation – les constructeurs avaient utilisé un mélange de calcaire et de béton. Impossible de démonter sans casser. Et, naturellement, l’architecte des bâtiments de France a mis son veto. Résultats des courses, c’est l’hypothèse qui semblait la plus farfelue, celle d’un déménagement comme sur des roulettes, qui a finalement abouti.
Le temple d’Abou Simbel… avec un peu d’exagération
La « translation », d’un seul tenant, d’un édifice aussi imposant est probablement « une première en France ». Mais pas dans le monde. Avec modestie, Jean-Michel Lattes trouve « très exagéré » de comparer l’opération toulousaine au déménagement du temple d’Abou Simbel en Egypte. Dans les années soixante, ce joyau touristique construit sous le règne de Ramsès II, s’est retrouvé menacé de submersion par la construction du barrage d’Assouan. Mais son déménagement a l’abri, sur le flanc d’une colline artificielle, s’est fait par démontage. De 1964 à 1968, le temple a été découpé en 1.035 morceaux de 20 à 30 tonnes chacun. Cinquante pays et 800 ouvriers ont participé à la prouesse, pour 36 millions de dollars de l’époque. Que les Toulousains se rassurent, pour le monument aux morts on est à 7 millions d’euros.
Une chapelle allemande exilée à 12 kilomètres
Non, en tapotant sur Internet au moment de donner son feu vert, Jean-Michel latte s’est surtout rassuré en regardant du côté de l’Allemagne. Il est notamment tombé sur l’exemple pas si vieux de la petite chapelle de Heuersdorf, une commune du sud de Leipzig. L’édifice pesant 660 tonnes, soit moins que le monument toulousain, et haut de 20 mètres contre 15 dans la Ville rose, a dû laisser la place à l’extension d’un site minier. En octobre 2007, la modeste église a été soulevée en entier puis placée sur des plateformes roulantes. Elle a mis une vingtaine de jours pour parcourir 12 km et être « reposée ». Selon l’AFP, ce déménagement a coûté 3 millions d’euros.
Un temple bouddhiste de Shanghai et une gare suisse
Autre exemple, plus récent mais plus lointain. En septembre 2017, le très fréquenté mais trop petit temple du Bouddha de jade de Shanghai, pesant 2.000 tonnes, a parcouru 30 mètres lui aussi, en l’espace de quinze jours. Il s’agissait de lui adjoindre une esplanade pour mieux gérer les mouvements de foule. Mais le temple a voyagé sur des rails en béton spécialement coulés pour l’occasion, pas sur une plateforme roulante. En 2013, la gare suisse de Chêne-Bourg, que les habitants de cette modeste commune souhaitaient sauvegarder en dépit de la construction d’une nouvelle ligne, a « ripé » d’une trentaine de mètres, elle aussi sur des rails. Son poids était de 700 tonnes.
C’est aussi grâce à la mobilisation populaire qu’en 1999, le théâtre Schubert de Minneapolis, aux Etats-Unis – aujourd’hui nommé Goodale Theater – n’a pas été démoli en même temps que le quartier qui l’abritait, gangrené par la criminalité. Il a été déplacé sur un chariot monté sur pneus, quelques pâtés de maisons plus loin.
Des exemples rassurants en attendant le branle-bas de combat toulousain. Et, quoi qu’il en soit, il restera dans les annales. Car, c’est tout à fait inédit, le monument fera le voyage en sens inverse, probablement en 2028, pour être reposé au même endroit, « au centimètre près ».